Deux semaines avant que les esprits communautaires ne s’échauffent à nouveau sur la question de B-H-V, l’enquête menée conjointement par La Libre et De Standaard sur le rôle du Roi nous permet de nous échauffer quelque peu. Voire même de provoquer des débats bien plus enflammés que sur les questions institutionnelles classiques car les lignes de démarcation sont ici plus nombreuses : républicains contre monarchistes, défenseurs de l’unité du pays contre séparatistes, sociaux-chrétiens contre libéraux, etc… Toute la subtilité résidant également dans le fait que ces différentes catégories puissent s’entrecroiser. Il y a par exemple des républicains attachés à la Belgique ou des libéraux conservateurs et monarchistes. Voir clair dans les agendas de chacun n’est donc pas évident.
En vérité, la question centrale, qui n’est pas systématiquement mise en avant dans les joutes médiatiques, est ici de savoir quel est l’impact du rôle du Roi sur l’unité du pays. En effet, si nous vivions dans un pays « plus conventionnel » (sans lourd passé communautaire, sans système fédéral complexe et sans fragile équilibre entre Communauté, Régions et Etat fédéral), il serait évident, d’un point de vue purement démocratique, qu’une monarchie ne sert plus à grand-chose au 21è siècle et qu’au mieux ses prérogatives doivent être réduites au strict minimum, pour ne pas dire plus. En Belgique, ce sujet prend une toute autre tournure car il est souvent lié à l’existence même du pays. Toucher aux pouvoirs du Roi est donc souvent interprété comme porter atteinte à notre unité nationale. Pourtant, est-ce encore bien le cas ?
D’un point de vue historique, le Souverain a toujours symbolisé la cohésion des différentes entités composant la maison Belgique. Durant les deux derniers siècles, il jouissait d’ailleurs d’un pouvoir important et il a été intimement associé à toutes les grandes décisions de politique intérieure ou extérieure jusqu’à la fin des années 80. Pour preuve, les nationalistes flamands (N-VA et Vlaams Belang en tête) ne s’y trompent pas et il entre très clairement dans leur stratégie de diminuer les pouvoirs royaux, voire de les abolir, afin de franchir un pas décisif vers la séparation. Ceci étant dit, ma conviction est que la volonté de vivre ensemble des Wallons, des Flamands et des Bruxellois ne dépend plus aujourd’hui de la famille royale, de ses prises de position, de ses actions ou de la personne qui succédera à Albert II. Cette volonté sera, par contre, influencée par la capacité de nos responsables politiques à apporter de la valeur ajoutée au quotidien de nos concitoyens. Par la démonstration continue qu’évoluer dans un pays multiculturel au cœur de l’Europe est une chance, qui se mérite et doit être entretenue. Enfin, par la détermination à faire de cette expérience et de cette solidarité multiculturelle une réussite prise en exemple au niveau international.
Faut-il pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain et se diriger vers un régime présidentiel ? Je ne le pense pas. Tout d’abord, Albert II remplit aujourd’hui parfaitement son rôle et le symbolisme qu’il représente à l’égard de la population est sans aucun doute positif. Les avis sont unanimes à cet égard. Ensuite, il faut, comme souvent en Belgique, être pragmatique par rapport aux conséquences drastiques qu’aurait une abolition de la monarchie. Imaginons un instant que nous devions élire un président, les débats quant à la mise en place de cette élection pourraient durer des années. En effet, organiserait-on une élection directe via une circonscription nationale (comme en France) ? Les Francophones demanderaient alors un mécanisme de protection pour avoir de temps en temps un président issu de leurs rangs. Mettrait-on en place un vote via grands électeurs (comme aux Etats-Unis), par province ou région ? Cela promettrait des discussions sans fin pour se mettre finalement d’accord sur un candidat. Ferait-on élire le président par le Parlement ? Les puristes y verraient une entorse à la démocratie et les négociations à la Chambre risqueraient également de prendre un certain temps. Rendons-nous compte que le problème B-H-V traîne dans les placards depuis plus de vingt ans et qu’avec un tel débat on risquerait d’en prendre pour vingt ans supplémentaires !
L’idéal serait donc de faire évoluer, de moderniser la fonction royale en lui ôtant certaines prérogatives n’ayant plus de sens aujourd’hui (promulgation ou signature des lois), et en lui maintenant celles le confortant dans son rôle stabilisateur et unificateur (participation à la formation du gouvernement fédéral ou entretien hebdomadaire avec le Premier ministre). J’ignore quel nom il faudrait donner à ce genre de monarchie, protocolaire ou autre. Mais ce dont je suis convaincu c’est qu’un tel dossier ferait mieux de rester en dehors des prochaines négociations sur la réforme de l’Etat car il est trop chargé émotionnellement et il risque de compromettre les discussions portant sur d’autres points bien plus importants pour le futur de nos concitoyens comme la fiscalité ou le financement de notre sécurité sociale.
Dès lors, ne nous trompons pas de cible. Ce sera bien durant ce prochain « round » institutionnel, qu’on nous annonce depuis presque trois ans, que se joueront la modernisation de notre système fédéral, le maintien de notre solidarité interpersonnelle et la réorganisation de nos équilibres communautaires. En d’autres mots, l’avenir de notre pays. Le Souverain n’y tiendra qu’un rôle secondaire tandis que les citoyens seront assis dans le fauteuil du régisseur, comme dans toute bonne démocratie. Ils devront alors faire entendre leur voix aux acteurs principaux, nos responsables politiques, afin qu’ils évoluent dans la direction qui respecte leur volonté. C’est ce processus, et lui seul, qui sera décisif quant à la sauvegarde de l’unité du pays.