Depuis que la phase de préformation est entrée dans le vif du sujet, il y a un peu plus de deux semaines, les négociateurs francophones sont décrits, dans les médias du Nord du pays, comme ayant peur de prendre leurs responsabilités et de ce fait comme étant réticent à accorder plus d’autonomie financière aux Régions. Au Sud du pays, la presse n’est pas beaucoup plus tendre avec eux et regrette de les voir simplement essayer de contrer les exigences flamandes plutôt que de proposer un véritable projet francophone. Il est évidemment impossible de confirmer les affirmations filtrant de la table des négociations, mais celles-ci donnent en tout cas l’impression que les responsables francophones sont occupés à jouer au gardien de but acculé sur sa ligne et obligé de dévier les tirs d’une attaque flamande déterminée et bien organisée. Si tel est le cas, les discussions sont très mal embarquées alors qu’il n’y a aucune raison de prendre une telle posture défensive. En effet, afin que l’issue des négociations soit positive pour chacune des parties, il faut que les différents protagonistes se considèrent d’égal à égal et prennent en compte leurs désidératas mutuels. Que nos élus francophones passent dès lors à l’offensive et arrêtent d’avoir peur ! Ce changement d’attitude pourrait avoir une influence concrète, voire décisive, sur plusieurs aspects des discussions en cours.
Tout d’abord, cessons d’avoir peur d’octroyer davantage de responsabilisation financière ou d’autonomie fiscale aux Régions. N’est-il pas en effet logique qu’une Région soit sanctionnée si elle mène une politique de l’emploi inefficace plutôt que de se voir attribuée des moyens supplémentaires pour compenser les effets négatifs d’une telle politique, comme c’est le cas aujourd’hui ? Par ailleurs, pourquoi ne pas également faire passer directement une partie de l’Impôt des Personnes Physiques (IPP) vers les Régions ? Celles-ci pourraient dès lors financer plus adéquatement les politiques pour lesquelles elles sont compétentes. Il n’est évidemment pas question ici de rompre la solidarité mais d’introduire une dose raisonnable d’autonomie fiscale régionale, comme c’est le cas dans tous les grands régimes fédéraux (Allemagne, Etats-Unis ou Espagne). Il faut se montrer ouverts et flexibles sur ces questions car il s’agit de modernisations nécessaires au bon financement de notre appareil fédéral, en plus de représenter des demandes flamandes majeures et le cœur du blocage des débats actuels.
Parallèlement à cela, n’ayons pas peur de rester fermes sur toute scission touchant directement au système de sécurité sociale. Il n’y aucun intérêt pour nos concitoyens à régionaliser (ou pire encore, à communautariser) les allocations familiales ou les soins de santé. Comme ce sont des systèmes d’assurance collective, toute personne ayant des bases élémentaires de mathématique sait bien qu’au plus large est la base de cotisants, meilleure est la couverture des risques encourus. Par ailleurs, avaliser une régionalisation des soins de santé revient à établir des différences de traitement entre les malades en fonction de l’endroit où ils habitent. Ces revendications sont donc purement idéologiques et il faut sérieusement s’y opposer.
Ensuite, en termes de propositions, où en sommes-nous concernant le renforcement du système fédéral ? Rien ne semble être mis sur la table à ce sujet. Quid de la refédéralisation de certaines compétences (commerce extérieur en tête) indispensable à toute réforme de l’Etat qui se veut équilibrée, de la circonscription électorale nationale, de la Communauté urbaine autour de Bruxelles ou de la rénovation du Sénat? A nouveau, n’ayons pas peur de mettre ces demandes au programme des négociations afin de pousser les partis flamands à prouver que les pourparlers en cours ne servent pas uniquement à détricoter un peu plus nos institutions. Il est temps d’obtenir des garanties à ce niveau-là et les Francophones, fadement « demandeurs de rien » il y a trois ans, ont à présent aussi le devoir de revendiquer des compensations.
Enfin, s’il s’avère que les nationalistes flamands de la NVA ne veulent faire aucune concession et continuent à rajouter des exigences supplémentaires chaque fois qu’un accord se profile à l’horizon, n’ayons pas peur de sortir le plan B de son chapeau. Même si tout le monde s’accorde à dire qu’il n’y en a pas, il en existe bien un : commencer la discussion sur la séparation du pays. Ce n’est évidemment pas souhaitable, l’ensemble des citoyens y perdrait et la grande majorité d’entre eux s’y oppose. Ceci dit, si la NVA pense qu’elle peut continuer à faire monter les enchères à l’envi car elle s’imagine que les Francophones feront tout pour sauver le pays, il faut lui faire comprendre qu’elle se trompe et qu’un plan B de négociations existe dans lequel les échanges prendraient une toute autre direction (indépendance flamande sans Bruxelles, modification de la frontière linguistique selon le droit international, etc…). L’objectif d’une telle manœuvre ? Forcer les autres partis flamands, opposés à un tel scénario, à sortir du bois et à mettre la pression pour atterrir et boucler les contours d’un accord durable.
La créativité, l’audace et la volonté de réussir seront des paramètres décisifs dans le succès ou non de la mission de préformation d’Elio di Rupo. En particulier, l’attitude des négociateurs francophones y sera déterminante : il faudra sortir des schémas classiques de dépeçage progressif de l’Etat central que nous connaissons depuis les années 70, proposer des améliorations basées sur les principes de bonne gestion et d’efficacité, rejeter les demandes inacceptables ou idéologiques et renforcer l’échelon fédéral. Plus facile à dire qu’à faire ? Certainement. C’est cependant à ce prix seulement que l’on pourra parler d’une réforme de l’Etat équilibrée qui sortira notre pays des crises à répétition que nous connaissons depuis juin 2007 et rendra au monde politique quelques galons de crédibilité. Le tout en gardant le viseur sur l’avenir de nos enfants et sur notre place au sein de l’Europe, qui attend toujours sa nouvelle présidence tournante…
Cet article ma laisse une impression mitigée, mon cher Gilles. D'un côté tu te dis défavorable au dépeçage étatique de la Belgique, aux réformes à sens unique, ce qui est tout à fait défendable, mais d'un autre, tu montres que tu es favorable à la dislocations de certaines compétences pour la seule et unique raison qu'il ne faut pas avoir peur (quelle objectivité !).
RépondreSupprimerMais à la lecture du dernier paragraphe, mon sang n'a fait qu'un tour: tu y indiques ne pas être opposé au séparatisme et proposes des scénarios fantaisistes du genre "état wallobru". On dirait que Bplus perd peu à peu son idéologie, puisqu'il milite à présent pour ce contre quoi il luttait intrinsèquement.
Doit-on craindre que Bplus devienne une sorte de "PP bis" ?
Monsieur VDB, sur son site en titre de son dernier article , Belge et fier de l'être vous qualifie de "Judas".
RépondreSupprimerIl refuse par ailleurs tout commentaire allant dans votre sens.
Expliquez-lui, si vous pouvez, que nous ne vivons pas dans un monde de bisounours et effectivement que le doute peut mener à la raison.