En cette veille de printemps 2010, les questions identitaires reviennent au premier plan et font la une de l’actualité malgré les graves problèmes économiques auxquels nous sommes confrontés. Cela s’explique sans doute par le fait que les citoyens ressentent le besoin de définir périodiquement leurs valeurs, leur sentiment d’appartenance à un groupe ou à une nation, et de mettre en lumière ce qui les différencie par rapport à d’autres. Nos amis français viennent à peine de terminer de longs mois de palabres sur le sujet, qu’il fait déjà irruption chez nous à travers deux événements récents : la profession de foi wallonne de Rudy Demotte et l’application du décret « Wonen in eigen streek » du parlement flamand. Ces deux cas ne sont évidemment pas similaires mais ont tout deux trait à l’identité.
D’un côté, il s’agit de valoriser le fait « d’être wallon » et d’exalter le sentiment de fierté par rapport à cette région, et de l’autre, la volonté est de déterminer si telle ou telle personne a des attaches concrète avec l’endroit où elle désir acheter un bien immobilier. L’objectif peut à chaque fois paraître louable au premier abord mais, comme souvent avec ce genre de thématique, on peut rapidement déraper vers des eaux bien plus troubles. C’est souvent une question de perception et d’application. La tournure qu’a prise le débat en France, en se focalisant sur la communauté musulmane, est à cet égard un exemple flagrant de dérive incontrôlée.
Concernant Rudy Demotte, il n’y a rien de mal à vouloir redonner confiance à ses concitoyens wallons grâce à une sortie médiatique de grande ampleur, que du contraire. Le problème survient lorsque cela est perçu comme une réaction, une attaque même, envers une autre identité, la flamande en l’occurrence. C’est ce qui s’est produit avec la presse étrangère, le Figaro en particulier, qui a vu cette manœuvre comme une tentative de se mesurer au nationalisme flamand. Concernant le décret « Wonen in eigen streek », ses implications concrètes sont beaucoup plus graves, voire inadmissibles, car des Francophones, au même titre que des Flamands d’autres provinces, se sont vu refusés l’achat d’un bien dans certaines communes du Nord du pays. Faire en sorte que des jeunes couples ne pâtissent pas de la forte hausse immobilière et ne soient pas rejetés de leur commune natale est une chose, entraver le principe fondamental de liberté de circulation et d’établissement en est une autre. Le dérapage est donc ici total.
Un fil rouge se dégage néanmoins de ces initiatives controversées : comment mettre en avant son identité ou son appartenance locale sans rejeter ou exclure certaines catégories de la population ? La reconnaissance d’une identité multiple ou millefeuille peut nous y aider. Ce concept emprunté à la Professeure Anne Morelli, par ailleurs Vice-Présidente du CA de BPlus, part du principe que nous avons tous plusieurs appartenances en nous qui ne sont absolument pas contradictoires. On peut donc parfaitement se sentir à la fois fier d’être Wallon, Bruxellois ou Flamand, Belge et Européen. Ces différents qualificatifs sont d’ailleurs souvent mis en opposition alors que leur acceptation commune représente la base même de tout système fédéral moderne et assumé. Poussons le raisonnement plus loin afin de montrer que notre identité renferme plusieurs tiroirs et qu’il ne sert à rien de vouloir les cloisonner comme c’est souvent le cas dans les débats précités. Ne serait-il donc pas possible d’être Français et musulman ; Liedekerkois de gauche et Européen convaincu ; Wallon d’origine flamande et de droite ; Marocain et juif; homosexuel et conservateur ; royaliste et anticapitaliste ou encore Bruxellois et rattachiste (quoique…) ? Bien sûr que oui. L’ensemble de ces facettes dessinent notre identité, l’enrichissent, la rendent complexe et intéressante. C’est pourquoi il est impossible de la résumer à une seule d’entre elles. Et pourtant, nous sommes de plus en plus souvent amenés à devoir choisir notre camp à tout prix afin de nous positionner sans ambiguïté face à tel ou tel « autre » groupement.
Au risque de paraître (à nouveau) trop optimiste, la Belgique a peut-être bien à nouveau un rôle de pionnier à jouer dans cette affaire. Parce que nous sommes par définition un peuple imprégné de cultures, de traditions et de références multiples, au croisement des civilisations latine et germanique. Cette prise de conscience « en millefeuille » que nous avons de nous-mêmes explique sans doute notre côté patriotique modéré et notre profil bas reconnu, à tort ou à raison, par tous nos voisins. Le Belge serait-il donc l’Européen du 21è siècle ? A vous de juger…
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