vendredi 13 mai 2011

Dans la gueule du lion!


La semaine dernière, j’étais invité à débattre sur l’actuelle impasse politique par la jeune Chambre de Commerce d’Hasselt (JCI Hasselt). Le panel de débatteurs réunissait le Président du Mouvement flamand (indépendantiste), un professeur néerlandophone des Facultés universitaires de Namur (et conseiller de la N-VA), un représentant de la Voka (patronat flamand) et un syndicaliste ACLVB (libéral). Quant à moi, je représentais le point de vue de BPlus (pro-belge et pro-fédéral donc) et non celui des partis francophones, … nuance pas évidente à comprendre pour certaines personnes présentes dans la salle. Celle-ci était composée d’une cinquantaine de personnes, dont des membres du Mouvement flamand (plutôt âgés) et des membres de la Chambre de Commerce organisant le débat (plutôt jeunes). Quel intérêt de relater cet événement au demeurant classique, particulièrement dans le contexte institutionnel du moment ? Outre un éclairage sur « la crise vue de Flandre » et sur les positions nationalistes en particulier, je dois bien avouer que je me suis senti tel un négociateur francophone, devant défendre mon point de vue face à un confédéraliste convaincu (Voka) et à deux séparatistes pure souche, représentant de surcroît la majorité des intervenants (3 sur 5). Ce rapport de force est en effet comparable à la configuration politique flamande actuelle à laquelle font face les responsables francophones : la N-VA et le CD&V formant presque une majorité, flanqués d’une gauche affaiblie mais défendant toujours un modèle fédéral fort, à l’image du syndicaliste dans le débat qui était souvent relégué au rôle de « gauchiste de service ». De nombreux enseignements ont donc pu être tirés de cette expérience, au-delà de la difficulté à garder son calme durant les discussions,

Tout d’abord, la batterie d’arguments nationalistes clichés utilisés depuis 20 ans a encore de beaux jours devant elle. Entre « les transferts allègent la douleur mais ne soignent pas le mal », « Bruxelles est gérée de manière inefficace à cause des baronnies francophones » et « le PS veut augmenter les impôts et promeut le status quo», la mélodie et les paroles n’ont pas varié d’une note. La seule évolution substantielle est la grande sympathie portée à la Wallonie et aux Wallons…mais teintée d’une vicieuse bienveillance: la Wallonie marche aujourd’hui tellement mieux et les Wallons sont à ce point fantastiques (ce dont personne ne doute…) qu’ils méritent plus de responsabilités, voire d’avoir leur propre nation indépendante ! Avec comme corollaire, la fin des transferts et de la solidarité bien sûr. Pour rappel, une scission de la sécurité sociale provoquerait une augmentation de la pauvreté de 20% en Wallonie, précision qui fit toutefois légèrement sourciller.

Ensuite, sur le fond, il était intéressant de comparer les différents argumentaires. Pour le Président du Mouvement flamand, la cause était entendue, la Flandre devait devenir indépendante le plus vite possible car la « voiture Belgique » était bonne pour la casse. Le cas de Bruxelles serait réglé par référendum à l’issue duquel les Bruxellois francophones auraient la sagesse de choisir le rattachement à la Flandre et ce, pour des raisons évidentes de bon sens. C’est à ce moment-là que j’ai manqué de m’étouffer en buvant une gorgée d’eau !
Le professeur néerlandophone des FUNDP et proche de la N-VA a défendu une vision confédéraliste poussée à l’extrême. C’est en fait un « séparatiste de cœur » qui se rend compte qu’avec Bruxelles, son rêve ultime n’est pas réalisable. Selon lui, il faut dès lors se demander ce qu’on souhaite encore faire ensemble, application du fameux article 35 de la Constitution, mais à l’entendre, cela ne représente pas grand-chose. De l’intérieur à la justice, en passant par les soins de santé et les allocations de chômage, tout doit en effet passer sous le bistouri de la scission. Le représentant de la Voka avait un discours moins extrême et donnait l’impression que « l’institutionnel pur » (BHV en tête) l’intéressait moins. L’important pour lui, c’est le socio-économique et son discours se focalise sur quatre axes clairs qui résonnent également comme des concepts récurrents depuis un an : la responsabilisation ou le fait d’être récompensé lorsqu’on prend de bonnes mesures politiques au niveau régional, la modification de la loi de financement, le transfert de la totalité de la politique de l’emploi vers les Régions et la réforme des institutions intra-bruxelloises. Une vision très confédérale que l’on pourrait résumer par « chacun reste maître chez soi ». Même la Communauté urbaine, permettant à Bruxelles de collaborer plus étroitement avec sa périphérie en matière de transport et d’emploi, ne trouve plus grâce à ses yeux car cela reviendrait à un élargissement déguisé. Enfin, le dernier interlocuteur provenant du monde syndical a insisté sur le maintien d’une sécurité sociale forte et sur une réforme de l’Etat qui ait du sens, au contraire d’une réforme idéologique portée par un nationalisme aveugle.

Rien de très réjouissant donc, me direz-vous ? Il faut à nouveau nuancer. Au niveau du panel d’interlocuteurs, les discours étaient, il est vrai, en majeure partie radicaux. Au niveau du public présent, c’était beaucoup plus contrasté et j’ai pu le remarquer durant le drink qui a suivi le débat. De nombreuses personnes exprimaient en effet leur ras-le-bol du blocage actuel, l’attribuant surtout à la frilosité francophone, mais n’en concluaient pas pour autant à la fin du pays. Plusieurs membres du Mouvement flamand m’ont d’ailleurs interpellé pour me dire qu’ils ne voulaient pas la « mort de la Belgique », un scoop en soi, mais que nous (sous-entendu les Francophones) devions aller de l’avant, réformer le pays et donner plus d’autonomie à la Flandre.

En conclusion de cette soirée, trois recommandations à destination de nos négociateurs francophones me sautent aux yeux : restez fermes sur la sécurité sociale, voire réduisez ce qui avait été concédé dans la note Vande Lanotte (scission d’une partie des soins de santé et des allocations familiales) car l’ensemble des syndicats vous soutiendra ; approfondissez la révision de la loi de financement autant que faire se peut ; et scindez BHV au plus vite, moyennant compensations, car ce symbole reste un frein immense au retour de la confiance mutuelle. Un accord basé sur ces principes aura le soutien de la majeure partie de l’opinion publique flamande. Avec la N-VA si possible, pour des raisons démocratiques, sans ce parti s’il le faut car ses conseillers et supporters donnent effectivement l’impression de tenir la notion de compromis en horreur !

1 commentaire:

  1. Ton compte-rendu de ce débat est intéressant, et je suis d'accord avec tes trois recommandations. Malgré la complexité de la situation, il est important de continuer à se parler et à débattre entre le nord et le sud du pays. Se parler, c'est la première étape avant d'éventuellement se comprendre.

    J'ai lu récemment une remarque de Luc Beyer de Ryke qui a présenté son dernier livre sur les mythes fondateurs et destructeurs de la Belgique au Cercle de Lorraine ; il a été surpris du manque de connaissance des personnes présentes (plutôt âgées et d'un niveau social élevé) sur le mouvement flamand. Il en concluait qu'il y avait un gigantesque travail pédagogique à effectuer par les journalistes, citoyens et enseignants pour faire comprendre le point de vue de chaque communauté.

    Bon week-end Gilles.

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