mercredi 16 octobre 2013

Vous avez dit "durable"?



En cette aube de 21è siècle, le qualificatif “durable” est devenu un concept clé du monde économique et de la sphère des entreprises. A première vue, on peut bien sûr s’en réjouir mais, en y regardant de plus près, il est bon de se demander si cet adjectif n’est pas utilisé à tort et à travers ou ne sert uniquement de caution à de pures opérations marketing ou autres « green washing ». En effet, un groupe qui lancerait une campagne à grande échelle de diminution de sa facture énergétique mais qui, par ailleurs, offrirait des contrats précaires à une partie de ses employés serait-il considéré comme durable ? Ou une usine qui arrêterait d’utiliser certains produits toxiques mais sous-traiterait une partie de sa production vers des fournisseurs peu regardants de l’environnement? Probablement pas.

L’objectif ici n’est pas de pointer des doigts accusateurs ni de distribuer des bons ou des mauvais points mais bien de démontrer que le concept de développement durable est complexe, implique une réflexion globale sur les objectifs de l’entreprise et une évolution de nos modes de fonctionnement économiques.

Tout d’abord, arrêtons-nous un instant sur quelques notions théoriques. Le développement durable a été défini en 1987 par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement comme étant « un développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. Deux concepts sont inhérents à cette notion : les besoins essentiels des plus démunis, à qui il convient d’accorder la plus grande priorité, et les limitations de la capacité de notre environnement à répondre à ces besoins actuels et futurs ». Cette définition va donc bien au-delà de la simple dimension écologique. En ce qui concerne le monde des affaires, cet ensemble sémantique est traduit par la responsabilité sociale des entreprises qui intègre l’approche des « 3 P » : Profit, People et Planet. En d’autres termes, une forme d’entrepreneuriat axée sur des prestations économiques respectant les aspects sociaux et environnementaux, et ce pour toutes les parties prenantes (clients, fournisseurs, employés et entourage direct).

Afin d’éviter que le virage « durable » d’une société ne se résume à de la cosmétique ou à un simple argument publicitaire, il convient dès lors que son objectif ne soit plus la seule maximisation du profit mais bien la maximisation de l’ensemble « profit, impact social et emprunte environnementale ». Concrètement, aucun de ces trois éléments ne peut être laissé pour compte et doit revêtir la même importance que les deux autres dans la gestion journalière comme dans les choix stratégiques posés par les dirigeants. Ce changement de postulat de départ, voire de remise en cause de la théorie économique classique, a des répercussions non négligeables dans le comportement des acteurs du marché. En effet, une entreprise qui se veut durable ne fermera pas un outil industriel rentable afin de réduire toujours plus ses coûts, eu égard aux répercutions sociales de l’opération ; ou ne lancera pas un nouveau produit prometteur qui pourrait avoir des dommages importants sur l’environnement. De même, une coopérative d’économie sociale qui ferait des pertes de manière structurelle ne pourrait être qualifiée de durable car elle ne pourrait « durer » dans le temps par défaut de rentabilité. Une autre conséquence de la portée de cette définition de « durabilité » est qu’elle ne se limite pas aux secteurs labellisés « verts » mais a comme ambition de se propager dans les segments de marché les plus divers. Un fabriquant de produits chimiques, un fournisseur de téléphonie mobile, un revendeur de matériaux pour la construction, voire une banque pourraient donc tout à fait opérer de manière durable. En outre, ce mouvement fera la part belle aux petites structures flexibles et capables de s’adapter rapidement. Autrement dit, les PMEs auront un rôle leader à jouer dans cette transformation à venir de notre économie. Parce qu’elles sont plus en phase avec leur environnement direct que les multinationales, souvent plus proches de leurs employés et ont les moyens d’implémenter une nouvelle stratégie ou une nouvelle manière de travailler bien plus rapidement. Cela n’exclut en rien les grands groupes de cette évolution mais risque de leur prendre davantage de temps.

Au final, l’objectif est que les entreprises emboitent le pas du « durable », tel que décrit ci-dessus, par intérêts propres, et non par idéologie ou vision idéalisée de la société. Même s’il est bon de poursuivre des projets par conviction idéologique, un tel changement des pratiques économiques actuelles ne peut réussir à grande échelle que si les principaux intéressés y voient un intérêt direct, une sorte de scénario win-win. Quel est-il ? Une plus grande motivation des employés grâce aux nouveaux objectifs de l’entreprise, un bien-être accru au travail via la maximisation de la dimension sociale et la création d’emplois par nature difficilement délocalisables. Ces trois conséquences devraient séduire à la fois autorités et employeurs. Les premières afin de soutenir ce type d’initiatives par les décisions politiques appropriées et les seconds afin de s’engager dans un créneau porteur, rentable et procurant du sens ainsi que de la stabilité à leurs collaborateurs. De nombreuses sociétés ont déjà sauté dans ce train durable et les créateurs d’entreprises qui s’apprêtent à le faire sont légions… Aux pouvoirs publics et aux associations sectorielles de transformer l’essai afin de veiller à ce que ce nouveau modèle entrepreneurial devienne la référence dans l’économie de demain.

Opinion parue dans L'Echo du 16 octobre 2013.

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