En cette aube de 21è siècle, le qualificatif “durable” est devenu un concept clé du monde économique et de la sphère des entreprises. A première vue, on peut bien sûr s’en réjouir mais, en y regardant de plus près, il est bon de se demander si cet adjectif n’est pas utilisé à tort et à travers ou ne sert uniquement de caution à de pures opérations marketing ou autres « green washing ». En effet, un groupe qui lancerait une campagne à grande échelle de diminution de sa facture énergétique mais qui, par ailleurs, offrirait des contrats précaires à une partie de ses employés serait-il considéré comme durable ? Ou une usine qui arrêterait d’utiliser certains produits toxiques mais sous-traiterait une partie de sa production vers des fournisseurs peu regardants de l’environnement? Probablement pas.
L’objectif ici n’est pas de pointer des doigts accusateurs ni de distribuer
des bons ou des mauvais points mais bien de démontrer que le concept de
développement durable est complexe, implique une réflexion globale sur les
objectifs de l’entreprise et une évolution de nos modes de fonctionnement
économiques.
Tout d’abord, arrêtons-nous un instant sur quelques notions théoriques. Le
développement durable a été défini en 1987 par la Commission mondiale sur
l’environnement et le développement comme étant « un développement qui
répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des
générations futures de répondre aux leurs. Deux concepts sont inhérents à cette
notion : les besoins essentiels des plus démunis, à qui il convient
d’accorder la plus grande priorité, et les limitations de la capacité de notre environnement
à répondre à ces besoins actuels et futurs ». Cette définition va donc
bien au-delà de la simple dimension écologique. En ce qui concerne le monde des
affaires, cet ensemble sémantique est traduit par la responsabilité sociale des
entreprises qui intègre l’approche des « 3 P » : Profit, People
et Planet. En d’autres termes, une forme d’entrepreneuriat axée sur des
prestations économiques respectant les aspects sociaux et environnementaux, et
ce pour toutes les parties prenantes (clients, fournisseurs, employés et
entourage direct).
Afin d’éviter que le virage « durable » d’une société ne se
résume à de la cosmétique ou à un simple argument publicitaire, il convient dès
lors que son objectif ne soit plus la seule maximisation du profit mais bien la
maximisation de l’ensemble « profit, impact social et emprunte environnementale ».
Concrètement, aucun de ces trois éléments ne peut être laissé pour compte et
doit revêtir la même importance que les deux autres dans la gestion journalière
comme dans les choix stratégiques posés par les dirigeants. Ce changement de
postulat de départ, voire de remise en cause de la théorie économique
classique, a des répercussions non négligeables dans
le comportement des acteurs du marché. En effet, une entreprise qui se veut
durable ne fermera pas un outil industriel rentable afin de réduire toujours
plus ses coûts, eu égard aux répercutions sociales de l’opération ; ou ne
lancera pas un nouveau produit prometteur qui pourrait avoir des dommages
importants sur l’environnement. De même, une coopérative d’économie sociale qui
ferait des pertes de manière structurelle ne pourrait être qualifiée de durable
car elle ne pourrait « durer » dans le temps par défaut de
rentabilité. Une autre conséquence de la portée de cette définition de
« durabilité » est qu’elle ne se limite pas aux secteurs labellisés
« verts » mais a comme ambition de se propager dans les segments de
marché les plus divers. Un fabriquant de produits chimiques, un fournisseur de
téléphonie mobile, un revendeur de matériaux pour la construction, voire une
banque pourraient donc tout à fait opérer de manière durable. En outre, ce
mouvement fera la part belle aux petites structures flexibles et capables de
s’adapter rapidement. Autrement dit, les PMEs auront un rôle leader à jouer
dans cette transformation à venir de notre économie. Parce qu’elles sont plus
en phase avec leur environnement direct que les multinationales, souvent plus
proches de leurs employés et ont les moyens d’implémenter une nouvelle
stratégie ou une nouvelle manière de travailler bien plus rapidement. Cela
n’exclut en rien les grands groupes de cette évolution mais risque de leur
prendre davantage de temps.
Au final, l’objectif est que les entreprises emboitent le pas du
« durable », tel que décrit ci-dessus, par intérêts propres, et non
par idéologie ou vision idéalisée de la société. Même s’il est bon de poursuivre
des projets par conviction idéologique, un tel changement des pratiques
économiques actuelles ne peut réussir à grande échelle que si les principaux
intéressés y voient un intérêt direct, une sorte de scénario win-win. Quel
est-il ? Une plus grande motivation des employés grâce aux nouveaux
objectifs de l’entreprise, un bien-être accru au travail via la maximisation de
la dimension sociale et la création d’emplois par nature difficilement délocalisables.
Ces trois conséquences devraient séduire à la fois autorités et employeurs. Les
premières afin de soutenir ce type d’initiatives par les décisions politiques appropriées
et les seconds afin de s’engager dans un créneau porteur, rentable et procurant
du sens ainsi que de la stabilité à leurs collaborateurs. De nombreuses
sociétés ont déjà sauté dans ce train durable et les créateurs d’entreprises
qui s’apprêtent à le faire sont légions… Aux pouvoirs publics et aux
associations sectorielles de transformer l’essai afin de veiller à ce que ce
nouveau modèle entrepreneurial devienne la référence dans l’économie de demain.
Opinion parue dans L'Echo du 16 octobre 2013.
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