vendredi 27 juillet 2012

Matraquer De Wever, c’est le renforcer.

Texte paru dans la Libre Belgique du 25 juillet 2012.


Depuis quelques semaines, un nouveau sport a vu le jour : la critique systématique de Bart De Wever et de ses moindres faits et gestes. Cet exercice est par ailleurs devenu national vu que les attaques fusent des deux côtes de la frontière linguistique. Paradoxalement, la Belgique se retrouve donc unie face à cet ennemi commun des partis traditionnels flamands et du monde politico-médiatique francophone dans son entièreté.
Ces reproches systématiques formulés à l’égard du leader nationaliste peuvent en outre se regrouper en deux catégories : ceux visant sa personne et ceux annonçant le chaos pour juin 2014. Le premier est illustré par Alexander De Croo (Open-VLD) ironisant sur son absence du parlement flamand par rapport à son omniprésence médiatique tandis que le second l’est par les récentes sorties d’Eric Van Rompuy (CD&V) décriant ses desseins séparatistes ou par certaines Unes de journaux francophones suite aux récents sondages donnant la N-VA largement en tête des intentions de vote en Flandre. Dans les deux cas, c’est tout à fait contreproductif. Tout d’abord, les provocations ad hominem représentent le terrain de jeu favori de Bart De Wever, sur lequel il est imbattable. Grâce à son charisme, son humour cynique et son verbe haut en couleur, il excelle dans la riposte et dans la réplique cinglante. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si plus aucun responsable politique flamand n’ose débattre face à lui sur un plateau de télévision depuis des mois. Ensuite, jouer les Cassandres et prédire la fin brutale du pays en cas de victoire écrasante de la N-VA en juin 2014 est une stratégie vouée à l’échec. Rappelons-nous que les nationalistes se présentent volontiers comme « anti-establishment » et comme moteur du changement (comme le rappelle leur slogan pour les communales «de kracht van verandering - la force du changement ») et qu’ils seraient ravis de pouvoir ébranler le système en place. De plus, ils savent pertinemment bien que leur nouvel électorat ne les a pas rejoints pour des raisons communautaires mais pour leur profil de droite décomplexée, voire populiste. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : le potentiel électoral de la N-VA est évalué à 40%, tandis que le nombre de séparatiste reste invariablement autour des 15% depuis presque 20 ans dans toutes les enquêtes d’opinion. Contrairement à certaines idées reçues, l’aspect communautaire n’est pas prioritaire dans le choix de vote des Flamands. Hurler au loup séparatiste n’influencera dès lors pas leur vote et aura comme seule conséquence de mettre la N-VA encore un peu plus sous le feu des projecteurs.

La preuve la plus flagrante de ce qui précède est que De Wever lui-même cherche continuellement à susciter les réactions précitées en flinguant tous azimuts : contre le gouvernement fédéral (cible privilégiée), contre ses partenaires du gouvernement flamand (dont la N-VA fait partie) et même contre l’Europe qu’il compare à une Belgique XXL en termes de fonctionnement.
Faudrait-il donc laisser le président des nationalistes en paix et, comme une douleur lancinante dans le dos, attendre que cela passe en serrant les dents ? Bien sûr que non. Il est important de continuer à lui faire face dans la perspective des élections fédérale et régionale de 2014, dont les résultats pourraient de facto faire trembler notre pays sur ses bases. Mais en modifiant l’angle d’attaque. Arrêtons d’agiter l’épouvantail séparatiste ou de viser la forme, attaquons le cœur de la cible : le programme socio-économique de la N-VA, qui lui permet de ratisser aussi large.

En analysant celui-ci de plus près, on se rend assez rapidement compte que de nombreux points pourraient donner lieu à des controverses ou à des débats houleux. En voici quelques exemples :
- scission de l’impôt des sociétés et concurrence fiscale entre Régions

- scission et privatisation partielle de la sécurité sociale

- diminution drastique du rôle syndical au sein des entreprises

- réduction au maximum du rôle de l’Etat

- flexibilisation poussée à l’extrême des horaires de travail et des salaires

- suppression des statuts ouvrier et employé
En d’autres mots, c’est clairement un programme de droite néo-libérale dure, dans la lignée de Margareth Thatcher, voire même de Georges W. Bush. Chaque parti a bien sûr le droit de défendre les idées qui lui plaisent (seules celles d’extrême droite étant intrinsèquement intolérables) mais la question est de savoir si les potentiels 40% de l’électorat flamand tentés par la N-VA se retrouvent dans ces points de vue. On peut sérieusement en douter vu qu’ils seraient défavorables à de nombreux pans de la société. Le problème majeur est qu’ils sont probablement inconnus du grand public car il en est très peu fait mention dans les émissions ou articles de presse consacrés à Bart De Wever et à son parti. Taper sur le clou des faiblesses de cet argumentaire et sur les conséquences désastreuses qu’il pourrait avoir sur une large partie de la population belge, flamande en particulier, est le meilleur moyen de faire mentir les oracles plaçant la N-VA aux portes de la majorité absolue en Flandre en 2014.
Même si la comparaison peut s’avérer boiteuse, De Wever fait aujourd’hui penser au Sarkozy de 2007 : incarnant le changement, voulant rompre avec le passé, ultra populaire et pouvant rassembler aussi bien à gauche qu’à droite autour de son seul nom. La pratique du pouvoir et la mise en place de son programme ont mis fin à cet état de grâce pour terminer par une défaite le 6 mai dernier dans les urnes. Pour que pareille désillusion puisse arriver au leader nationaliste, sa personne devrait être liée à l’exercice du pouvoir, ce qui n’est pas le cas actuellement, même si son parti se trouve dans la majorité régionale flamande. Faudrait-il en arriver à souhaiter une victoire de De Wever à Anvers en 2012 afin de pouvoir confronter son programme et sa gestion politique à la réalité, et de mieux le tacler durant la campagne de 2014 ? La question a le mérite d’être posée.

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